A la demande de Philippe Rousseau, comme témoignage dans un article à paraître pour la revue Subaqua.

Au dessus de nos têtes, c’est un plafond noir, lisse, froid, où nos éclairages allument des chapelets de perles d’argent, bulles d’air prisonnières dans plus de deux mètres d’épaisseur de glace bleue. Nous sommes sous les eaux du Torn Trask, un lac gelé de Laponie suédoise, à 400 km au nord du cercle polaire. Nous tournons des séquences pour le film Nuit Blanche qui sera diffusé sur les chaînes françaises et étrangères.

Nous avons laissé derrière nous le trou d’accès dans la glace, phare dans la nuit, raie oblique de lumière bleue du jour finissant. Dehors, le blizzard s’est levé, annulant toute visibilité ; la neige est soufflée, à l’horizontale. Il fait quarante deux degrés sous zéro et l’équipe de surface doit veiller à maintenir ouvert à coup de pics l’orifice où nous sommes entrés parce qu’il a tendance à geler de nouveau…

La nuit polaire est tombée. Dessous, c’est un monde d’obscurité, d’un calme sépulcral. L’eau est à moins deux degrés, maintenue en surfusion par la pression colossale de la glace qui la surplombe. Si bien qu’il suffit de gratter sous les voûtes pour faire naître au bout des doigts de longs cristaux qui grossissent à vue d’œil, épées suspendues au-dessus de nos têtes.

Je filme Philippe Rousseau, plongeur multi casquettes, compagnon de nombreuses aventures qui participe également à cette expédition engagée dans l’extrême nord. Pour les besoins du film, il plonge avec un casque – bulle Lama, alimenté par un scaphandre dorsal bi-bouteilles, par le biais de tubulures spécialement construites pour l’occasion. Il semble avoir des problèmes de vision car son casque est plein de buée et nous avons du mal à communiquer. Mais, plans après plans, les prises de vues avancent, dans le froid… Glacial.

Pour plus de mobilité, je suis en circuit ouvert, à l’air comprimé et sens très bien la morsure du froid sur le visage. Malgré toutes nos précautions (équipements et raccords réchauffés au chalumeau à propane, détendeurs bourrés de graisse, maintenus au chaud) nous savons que nous avons peu de temps avant que le matériel gèle : au cours des premières plongées, nous sortions souvent en catastrophe, au bout de dix minutes à peine, en panne d’air, premiers étages et robinets emprisonnés dans des boules de glace vive ! Avant de trouver la bonne technique afin de pouvoir rester sous l’eau plus de trente minutes…

C’est fini ! Il est temps de faire demi-tour, retrouver le trou et sortir. Mais où est le fil d’ariane ? Ce fil jaune fluo que nous avons fixé au plafond avec des broches à glaces et qui mène au dehors ? Je me souviens que nous nous en étions éloignés un peu, quelques mètres à peine, pour ne pas l’avoir dans le champ de la caméra. Mais on en fait des tours et des détours, des descentes et des remontées, quand on suit un plan de tournage, séquences après séquences, pris par le temps qui file et s’envole comme nos bulles dans l’eau noire…

Perdus ! Par signes, je signale le problème à Philippe. Il ne montre pas de signes d’inquiétude – il en faut plus pour l’émouvoir – et il me fait signe qu’il m’attend, sur place.

Inutile de descendre plus profond pour essayer de repérer l’orifice bleu grâce à la lumière du jour : il fait nuit maintenant… Je plante donc Philippe là et m’éloigne en restant à vue, dans l’eau heureusement cristalline. Puis j’entame un grand cercle dont il est le centre, là bas, dans le noir, au bout de son faisceau de lumière. Et assez vite, je recoupe le fil jaune, tendu sous la voûte. Comment avons-nous pu nous en éloigner autant ?

Philippe m’a rejoint et nous suivons ce guide vers la sortie, récupérant peu à peu notre respiration normale, des vagues de sang chaud pulsant à nos oreilles, avec la fausse assurance des plongeurs en sursis, conscients qu’ils viennent de faire une énorme connerie qui aurait bien pu leur être fatale…

L’article complet paru dans Subaqua.

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