A la demande de Philippe Rousseau, j’ai écrit un témoignage paru dans le livre : Mistral, détendeur de légende aux éditions les Presses du Midi. Coordonnée par Louis Augusto, la rédaction de l’ouvrage est collective et regroupe quelques signatures prestigieuses : L’inoxydable Falco, le fringuant Sérafini, le pétillant Joncheray, l’hollywoodien Pétron, le sémillant Rousseau, et tant d’autres pionniers ayant utilisé le célèbre détendeur à deux tuyaux… Je recommande la lecture de ce livre qui ne manque pas d’air dont l ‘intégralité des droits d’auteurs sera reversée au Musée de la plongée Frédéric Dumas de Sanary. C’était la minute altruiste…

Ma première plongée

Le Mistral : Avis de grand frais dans la bouche ! Vent de liberté… Souffle puissant et salvateur aux sein de l’immensité aquatique. Une branchie externe de métal brillant, une trachée double qui permit à l’homme de faire sortir le génie aérien de la bouteille, de s’émerveiller dans les trois dimensions de l’espace marin, de briser le miroir des rêves terriens…

Je ne sais ce qui a présidé au baptême de ce détendeur : le vent du sud ou le poète provençal ? Car il y a les deux dans ce merveilleux engin : l’air « à la demande » et le souffle poétique d’un Philippe Diolé qui le raconta mieux que personne.

L’engin fit des émules bien au delà des rivages provençaux et c’est en Bretagne que je fis sa découverte…

Cela faisait des semaines que du haut de mon jeune age j’assistais au départ des « hommes grenouille » sur le Port de Kerfissien dans le Finistère nord ou nous passions nos vacances. Au cœur de cette Bretagne nord de tempête et d’écume ou les rares estivants rougissaient plus de vent que de soleil… Il y avait là un groupe de plongeurs passionnés dont le leader faisait profession de démineur et dont le but avoué était de découvrir une épave connue dans l’histoire et sur les cartes marines mais qui restait insaisissable… Je les regardait partir, assis sur les boudins du Zodiac, suivis d’un V d’écume qui, jour après jour, n’était pas celui de la victoire. Pas encore…

Ils se livraient aussi à des entrainements dans le bassin du port, des manœuvres bizarres ou se mêlaient palmes, bulles et chuintements d’air sous pression. Je ne perdais pas une miette de ces ballets sous-marin, me débrouillant déjà bien sous l’eau avec palmes masque et tuba. Mais la machine à rêve ne démarrait que lorsque je voyais plonger ces hommes de caoutchouc noir rayé de jaune, dissimulés derrière ces masques carrés pourvus de curieux appendices autour du nez, et portant surtout dans le dos une bouteille !. Jaune, lourde, munie de ces sangles en coton et de cette bouclerie étrange qu’on appelait rapide… Et que dire de cette tringle, objet de toutes les attentions, la réserve ? Qui me semblait surtout conçue pour se coincer partout. Mais l’apanage du « vrai » plongeur était sans conteste ce détendeur avec ses tuyaux annelés entourant la tête de ceux qui disparaissaient sous l’eau dans un nuage de bulles pour un voyage que je jugeais infini… Tout cela sentait la haute technologie… L’aventure. Et je n’en pouvais plus d’essayer à mon tour…

C’était l’époque ou la passion tenait lieu de diplôme, le « marche ou crève » d’enseignement. Remarquant ce minot quotidien, les yeux écarquillés, l’un des héros luisant d’embruns me demanda un jour :

– Tu veux essayer ?

C’est peu dire que je répondis : Oui !

Ma première plongée, mon baptême, allait se faire dans l’enceinte du port, à marée haute. C’est ainsi que j’entrais dans « le monde du silence », la chair de poule tenant lieu de combinaison isothermique. Sur mes épaules, les tuyaux du Mistral (enfin !), l’embout tenant a peine dans ma bouche trop étroite d’enfant…

Ma première inspiration fut un désastre : une giclée d’eau salée fit irruption dans ma gorge me faisant tousser. Mais j’étais déjà sous l’eau, à suivre mon mentor. Habitué à l’apnée et aux glougloutement des tubas ancienne génération, je ne m’attendais certes pas à ce que l’acte de respirer sous l’eau soit facile… C’était donc ça la « plongée autonome » : cette sensation amphibie, ce mélange d’air froid et humide et de cette eau de mer pulvérisée ?… J’en pris mon parti et appliquais aussitôt une méthode pour séparer l’air en direction de mes poumons, et l’eau que je recrachais comme je pouvais. Je savais que ce détendeur génial avait été inventé par Emile Gagnan, ingénieur à l’Air Liquide. De l’air liquide, c’était exactement cela !

D’ailleurs, qu’importe cette petite gène quand on a la chance de voyager au sein des palmeraies de laminaires et des lampions de sargasses, dans cette eau verte ou les bars du coin se cachent dans les jets d’himanthales ? Tout un monde vivant, mobile et pulsant au rythme du ressac et des courants secrets ou je traçais à petits coups de palmes ma voie, ma vocation… Je ferais d’ailleurs ma première plongée au large dès le lendemain, ayant été jugé « apte »… Et découvrirais par hasard l’épave tant convoitée. Mais c’est une autre histoire…

Je sortis de l’eau, émerveillé et bleu. Les doigts gourds dévissant à grand peine le matériel à rincer…

C’est alors que j’entends le préposé au matériel qui depuis un moment fouille comme un possédé dans les équipements épars :

– Il est ou le Mistral foutu ?

– Il a plongé, non ? répond un des moniteurs

– Celui là ? Rigole Loulou en agitant le mien, dégoulinant comme un poulpe à deux tentacules… Ca m’étonnerais : la membrane est crevée !

Telle fut ma première sensation de plongée : Un monde vert et glacial, plus proche de la noyade programmée que de l’air vivifiant des cimes… Mais cette formation là, voyez vous, je n’aurais pas voulu en changer !

Plus tard, le Mistral fut relégué aux oubliettes de l’histoire, remplacé par le détendeur à deux étages : un stupide tuyau orphelin, un « tuyau à gaz » qui n’avait rien de sérieux. La preuve : depuis l’avènement des recycleurs, on est revenu aux tuyaux annelés…

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